On a cherché à fixer cette image donnée par la
chambre noire, pour
garder la mémoire de scènes passées. Là encore, dès l'Antiquité, on
avait remarqué l'action de la
lumière sur certains colorants organiques
(les couleurs "passent"), sans avoir l'idée d'une utilisation en
association avec la
chambre noire (qui aurait d'ailleurs été tout à
fait impraticable, vu les
temps de pose nécessaires!). Les alchimistes
du Moyen Age connaissaient déjà le noircissement du nitrate d'argent
sous l'effet de la
lumière, et au XVIIIe siècle on commençait à étudier
les réactions photo-chimiques, sans réussir à fixer l'image de la
chambre noire. C'est seulement en 1816 que Nicéphore Niepce obtient à
Châlons-sur-Saône (sa ville natale) la première photographie d'un
"paysage" sur une plaque au chlorure d'argent. L'image, que l'on voit
ci-dessus, est négative, et le
temps de pose d'environ huit heures en
plein soleil! En 1822 Niepce obtient des images positives, et après sa
mort en 1833 ses travaux sont poursuivis par son associé Daguerre. Ce
dernier met au point un procédé à l'iodure d'argent, produisant des
images appelées "Daguerrotypes" qui eurent beaucoup de succès dans le
monde entier; le
temps de pose devenait raisonnable : une ou deux
minutes. Enfin, en 1841, Talbot met au point en Angleterre le procédé
négatif-positif dont le principe est toujours utilisé, qui permet
d'obtenir autant de tirages positifs qu'on le désire à partir d'un même
négatif.
Films noir et blanc, films couleur
La première surface photosensible mise au point a été le film noir et
blanc; Sous sa forme moderne, il est constitué de cristaux de sels
d'argent (bromure d'argent) immobilisés dans une couche de gélatine
déposée soit sur une plaque de verre, soit sur une mince feuille d'un
matériau synthétique. Quand la
lumière frappe les cristaux de bromure
d'argent, elle détruit certains arrangement moléculaires, ce qui libère
des charges électriques qui s'accumulent en certains points des
cristaux. Ces accumulations de charges, à leur tour attirent des atomes
d'argent. On a ainsi formation de ce que l'on appelle un germe. Il n'y
a pas encore d'image visible, mais l'image est potentiellement là : on
parle d'image latente, et des manipulations chimiques ultérieures vont
la faire apparaître. Pour cela, le passage dans le révélateur va
permettre aux germes de croître au dépens des cristaux de bromure
avoisinants; à la place de chaque germe se constitue un agglomérat
d'argent, tandis que les cristaux disparaissent. Au microscope, c'est
un grain noir qui apparaît dans la gélatine. Le fixateur que l'on
emploie ensuite va stabiliser définitivement l'image en éliminant les
dernières traces de cristaux photo-sensibles qui n'auraient pas été
transformés dans le révélateur. On ne comprend pas tout dans la chimie
de la photographie noir-et-blanc, mais on a remarqué que les cristaux
les plus gros sont les plus faciles à amener à l'état développable, ce
qui explique que les émulsions les plus sensibles(2) soient aussi les
plus grossières, celles où le grain est le plus apparent.
Le film couleur est plus récent, car chimiquement beaucoup plus
compliqué; les premiers essais concluants sont ceux de Ducos du Hauron
en 1868 qui n'ont eu aucun succès commercial. En principe, le film
couleur fonctionne comme le film noir et blanc, à ceci près qu'il est
constitué de trois couches, chacune étant sensible à l'une des trois
couleurs primaires : rouge, vert, bleu (nous verrons cela bientôt). Si
l'on prend l'exemple d'un film célèbre, le Kodachrome, la
lumière y
rencontre d'abord une couche sensible au bleu, où va donc se former une
image bleue de l'objet photographié. La
lumière continue sa pénétration
et rencontre ensuite un filtre jaune, placé là pour éliminer les
dernières traces de
lumière bleue qui risqueraient d'impressionner les
couches suivantes. Puis une couche sensible au jaune forme l'image de
la
lumière jaune émise par l'objet, et enfin une couche sensible au
rouge forme l'image rouge. Le traitement de cette triple image latente
est complexe, et aboutit à la formation d'une image positive jaune dans
la première couche, d'une image positive magenta (une sorte de violet)
dans la couche intermédiaire, et enfin d'une image positive cyan (un
bleu-vert très pâle) dans la dernière. Le filtre jaune est éliminé au
cours du traitement par un bain dit de blanchiment. La superposition de
ces trois images recrée l'image en couleurs normales de l'objet
photographié.
L'appareil photographique
Il résulte de l'association d'une chambre noire et d'un film
photosensible, c'est à dire de la surface capable d'enregistrer, de se
souvenir de l'image qu'elle a reçue. Pour rendre le système réellement
utilisable, on doit de plus ajouter, au minimum :
- Une lentille (ou un système de lentilles plus ou moins
complexe selon la qualité d'image souhaitée, et qu'on appelle
l'objectif) qui, en augmentant le pouvoir collecteur de l'ouverture,
joue le rôle d'entonnoir à lumière et rend la chambre noire utilisable
avec des temps de pose raisonnables, même quand la lumière ambiante
n'est pas maximale.
- Un obturateur permettant de ne faire entrer la lumière que
quand on le souhaite.
- Une ouverture circulaire de diamètre variable, appelée
diaphragme, permettant de limiter si besoin est la quantité de lumière
pénétrant dans la chambre noire.
- Un dispositif permettant de faire plusieurs photos et
séries de photos sans avoir à renvoyer l'appareil à l'usine à chaque
fois (c'était la solution peu pratique adoptée par George Eastman pour
son premier "Kodak" de 1868, vendu 25 dollars chargé). Sur les
appareils modernes, le film est en général enclos dans une petite
cartouche qui le protège de la lumière entre la prise de vue et le
traitement, et parfois même constitue son rangement définitif (comme
dans le format dit APS(3)).
L'
oeil est, sur le plan optique, d'une extrême simplicité : un
"objectif" formé de deux lentilles simples (cornée/humeur
aqueuse/cristallin), un diaphragme (l'iris), une surface collectrice
d'image (la rétine). Il a toutefois deux caractéristiques que l'on ne
sait absolument pas reproduire dans un appareil photographique :
- Il fait la mise au point sur l'objet en variant la courbure
des faces de son objectif
- Il fait la mise au point de son image sur une surface
sphérique.
Dans un appareil photo, on ne peut faire la mise au point qu'en
déplaçant l'objectif, et on ne peut recueillir l'image que sur une
surface plane; on ne connaît en effet aucune surface photosensible
utilisable qui ne soit pas plate. Et là est bien la catastrophe pour
les constructeurs : il est extrêmement difficile de réaliser un système
optique qui donne une image vraiment plane. Ceci ne peut être obtenu,
et encore de façon très imparfaite, qu'en empilant un nombre
considérable de lentilles taillées dans des verres coûteux. Voici par
exemple la coupe d'un objectif grand-angulaire (c'est à dire capable de
photographier en une seule fois une scène très large et très haute). Il
s'agit d'un cas extrême, mais la comparaison avec la simplicité
apparente de l'
oeil dont les performances sont assez comparables est
saisissante.