Europe se présente comme une boule de billard, parfaitement lisse. On
chercherait en vain un cratère, un volcan, une montagne, une vallée.
Tout au plus observe-t-on de longues rainures, peu profondes qui
courent en tous sens. Europe est à peine âgée de 10 millions d'années.
Elle est recouverte d'une couche de glace dont l'épaisseur varie de 80
à 170 km.
Elle présente des zones brillantes qui correspondent à des plaines
lisses et des zones sombres. Ces dernières ont longtemps intrigué les
planétologues qui décorticaient les clichés expédiés par les sondes
Voyager 1 et Voyager 2. Photographiées à nouveau par la sonde Galileo,
mais avec une haute définition, elles sont constituées d'amoncellements
de blocs de glace, semblables aux icebergs de la banquise terrestre.
Ces régions chaotiques sont sillonnées par des fractures, bordées de
matériaux marrons qui seraient des dépôts de sel.
Un océan d'eau liquide salée
Les survols rapprochés d'Europe par la sonde Galileo, en particulier
celui du 3 janvier 2000, ont mis en évidence des variations de
l'orientation du champ magnétique toutes les 5 heures et demies. Ce
champ magnétique engendre un courant électrique dont la propagation est
probablement due à un océan d'eau liquide salée, conducteur
d'électricité. Cet océan s'étendrait entre le noyau et la croûte de
glace, à 100 km sous la surface d'Europe. Il aurait une épaisseur d'une
centaine de km.
Ses marées internes dessineraient dans la glace les lignes de
fractures. Selon une simulation informatique réalisée par un chercheur
américain, Gregory Hoppa (université d'Arizona) et présentée dans la
revue Science [17/09/1999] les marées auraient une amplitude de près de
30 mètres et dureraient 85 heures. Les failles se déplaceraient à 3
km/h, dessinant des courbes de plusieurs centaines de kilomètres en
quelques jours.
Les projets d'exploration
Cet océan potentiel intéresse beaucoup les scientifiques. Une mission
d'exploration, Europa Orbiter, a été à l'étude pendant deux ans. Mais
la complexité des moyens à mettre en oeuvre (il est très difficile de
faire orbiter une sonde si près de
Jupiter) et le coût d'une telle
mission (1 milliard de dollars) ont provoqué l'abandon du projet et sa
"requalification" en X2000 Advanced Projet Avionics.
Europa Orbiter devait notamment analyser le champ gravitationnel et la
forme de la petite lune jovienne. Lancée le 10 novembre 2003, la sonde
serait arrivée près de
Jupiter en août 2006. Après avoir survolé
pendant un an Ganymède et Callisto, elle se serait mise en orbite
autour d'Europe à une altitude de 200 km. L'étude précise du champ
gravitationnel et de la forme d'Europe (par radar) lui aurait permis de
vérifier l'existence de marées et donc d'un océan interne.
Les auteurs de ce projet avaient également l'ambition d'envoyer, (avec
Europa Orbiter ou lors d'une mission ultérieure) un module
d'atterrissage se poser à la surface d'Europe pour analyser des
échantillons de glace et envoyer sous la banquise une sonde foreuse. En
dépit de l'annulation du programme Europe Orbiter, une équipe de la
NASA continue à mettre au point d'une sonde robot, le Hydrobot-Cryobot,
qui sera testée dans l'Antarctique, à Vostok, où se trouve un lac d'eau
liquide, enfoui sous 4 km de glace qui recèle peut-être une
vie
microbienne. Si une mer liquide existe bien sur Europe, le Cryobot
pourrait y être envoyé un jour pour traverser la banquise, atteindre
l'eau liquide, prélever des échantillons, les analyser in situ ou les
ramener sur Terre.
L'épaisseur de la croûte de glace
Encore faudrai-il avoir une idée précise de l'épaisseur de cette croûte
de glace avant de se lancer dans une telle opération. Or, pour
l'instant, les études se suivent et se contredisent. Selon les uns, la
croûte de glace aurait à peine 3 km d'épaisseur. Selon les autres, elle
s'étirerait sur au moins vingt kilomètres.
Deux chercheuses de l'université d'Arizona, Elisabeth Turtle et
Elisabetta Pierazzo, ont étudié de près les rares cratères d'impact
visibles à la surface d'Europe [Science, 9 nov 2001]. La sonde Galileo
en a repéré vingt-huit. Six d'entre eux possèdent un piton central. On
connaît bien le processus de formation de ce type de cratère, très
répandu sur la
Lune. Lors de l'arrivée d'un astéroïde ou d'une
météorite, les couches profondes se déforment et s'élèvent en pic au
milieu de la zone atteinte, sous l'effet du choc et de la chaleur.
Les cratères à piton d'Europe semblent appartenir au modèle courant.
Manifestement, les bolides qui les ont creusé n'ont pas traversé la
croûte de glace jusqu'à l'océan qui se trouverait en dessous. De l'eau
ne pourrait pas en effet constituer un tel relief. Elisabeth Turtle et
Elisabetta Pierazzo ont réussi à simuler sur ordinateur les impacts qui
ont formé de tels cratères. Et leur conclusion est que l'épaisseur de
la glace doit être d'au moins 3 à 4 km d'épaisseur pour supporter et
engendrer les cratères photographiés par Galileo.
Tel n'est pas l'avis de Paul Schenk, du Lunar and Planetary Institute
[Nature, 23 mai 2002]. Ce planétologue, spécialisé dans les petits
corps de glace du système solaire à qui l'on doit entre autre, une base
de données sur les cratères de Ganymède, a catalogué tous les cratères
d'Europe de plus de 100 mètres que l'on rescense sur les photograpies
des sondes Voyagers et Galileo.
Il a constaté qu'au dessus de 30 km de diamètre, les cratères d'Europe
(comme ceux de Ganymède et de Callisto de plus de 150 km) étaient des
bassins peu profonds, entourés non pas de remparts, mais de rides
concentriques, semblables à celles qui se dessinent dans l'eau
lorsqu'on y jette une pierre. Cette forme résulterait de la différence
de malléabilité entre une nappe fluide et une croûte de glace. Mais
celle-ci, sur Europe, mesurerait entre 19 et 25 km d'épaisseur selon
les calculs de Paul Schenk.
Une autre chercheuse, Louise Prockter de l'université de Johns Hopkins,
s'est intéressée indirectement à l'épaisseur de la banquise d'Europe,
en étudiant des bandes de matière hautes de 100 m. Selon ses travaux
[Journal of Geophysical Research-Planets], l'épaisseur de la croûte de
glace d'Europe atteindrait 15 km. Et les formations en bandes auraient
pour origine, non l'eau d'une mer interne, mais de la glace remontant à
la surface.
D'ailleurs, avec 15, 20 ou 30 km d'épaisseur, comment un processus
d'échange de matériaux pourrait-il avoir lieu entre une nappe
souterraine et la surface d'Europe ? Et comment un cryobot
arriverait-il à traverser une telle couche de glace ? L'océan d'Europe,
s'il existe, n'est pas prêt de livrer ses secrets.