Comment annoncer au
public l’approche d’une
météorite sans déclencher une panique
collective mais, en même temps, sans s’exposer à la critique de manquer
au devoir de le tenir informé ? Il est vrai que le nombre des
astéroïdes dont l’orbite les amène assez près de notre
planète pour
qu’ils soient pris au piège de la force d’attraction est déjà
relativement restreint. Même ceux qui surmontent l’obstacle disposent
généralement de trop peu de masse pour “survivre” le passage à travers
l’
atmosphère terrestre. Et il n’y a aucun doute que ceux qui
réussissent à sortir de la stratosphère avec encore un minimum de
matière risquent d’exploser avant de toucher le sol, suivant l’exemple
du fameux météore d’Alaska dont la traînée verte surprit récemment les
habitants de la montagne de Yukon. Toutefois, le nombre énorme
d’articles de presse répandant la peur de corps tels que 1998 KY26 qui
aurait menacé la
Terre il y a à peine deux ans, 1997 XF11, l’objet
soupçonné de retourner en 2028, ou 1999 AN10 dont l’itinéraire, selon
les alarmistes, nous mettrait vers 2039 en danger de collision, ajoute
à l’angoisse générale. Les scientifiques, embarrassés par l’affolement
irraisonné, ne virent donc plus qu’une seule solution : définir
clairement et sans confusion possible le degré de probabilité avec
lequel un représentant du groupe des EGAs risque de bousculer la
planète. Mais pour être en position de formuler une telle définition,
il fallait trouver un outil adéquat.
Un tel outil fut présenté au début de juin 1999 à Turin en Italie par
Richard Binzel, chercheur au Massachusetts Institute of Technologie,
lors d’une réunion de l’IMPACT - International Monitoring Programs for
Asteroid and Comet Threats -, du groupement des experts les plus
compétents dans le domaine des “frôleurs de
Terre”. Le 22 juin, il fut
officiellement adapté par l’Union Astronomique Internationale (UAI).
Mais le désir d’adresser au public des rapports plus clairs n’avait pas
été le seul motif pour travailler pendant cinq ans sur ce schéma qui,
d’après le nom de la ville de sa présentation, fut baptisé “échelle de
Turin”. Il est aussi destiné de servir de base de communication aux
scientifiques qui, grâce à lui, pourraient à l’avenir échanger des
informations sur leurs observations sans avoir besoin de se répandre en
explications plus complexes. Leur tâche ainsi simplifiée, ils
gagneraient du temps et auraient la possibilité d’intensifier les
contacts avec leurs collègues à l’échelle internationale. L’UAI voit
ici un moyen d’éviter des annonces prématurées d’observations
alarmantes. Son idée est de persuader les chercheurs de suivre un
modèle de collaboration élaboré : celui qui tomberait sur un objet
menaçant rapporterait son estimation du niveau de danger d’abord au
président du groupe des chercheurs qui, au sein de l’UAI, travaillent
sur les PHAs. Et seul au moment où tous les experts se seraient
exprimés et auraient consenti à ce que l’orbite d’un nouveau corps
expose la
Terre à un risque plus grave que celui défini par le premier
degré de l’échelle de Turin, l’information serait publiée sur la page
web de l’institut.
Depuis longtemps, les astronomes sont d’accord sur le point que le
besoin d’une base commune se fait effectivement sentir de plus en plus.
C’est que des projets comme LINEAR ou NEAR ne réussirent pas seulement
à éveiller l’intérêt du public, ils firent aussi augmenter le nombre
des PHAs nouvellement découverts. La question de leur classification
s’impose alors d’urgence.
Le principe de l’échelle est emprunté à celle qui classe les séismes.
Elle part de l’idée que personne ne s’inquiète lorsqu’un tremblement de
Terre du premier degré sur l’échelle de Richter est annoncé. La
nouvelle échelle suit absolument ce schéma. Elle consiste en once
niveaux, zéro à dix, divisés en six groupes désignés par un code de
couleurs. Les niveaux expriment d’abord la probabilité d’un impact -
une disposition basée sur l’observation et le calcul des orbites des
objets connus - puis la quantité de l’énergie libérée au cas où
l’impact aurait lieu. Cette énergie est calculée à partir de la taille
et de la densité estimées du corps d’un côté, de sa vitesse de
déplacement d’un autre.
La première catégorie, caractérisée par la couleur blanche, ne contient
que le niveau zéro qui représente les petits objets sans aucune chance
de traverser l’
atmosphère terrestre : un événement de ce niveau ne tire
probablement pas à conséquence.
Le groupe vert inclue les degrés un et deux, signalant que l’on a
affaire à un objet qui mérite d’être observé soigneusement. Un corps
appartenant au premier niveau n’a qu’extrêmement peu de chances
d’entrer en collision avec la
Terre ; chez un astéroïde du deuxième
degré, un tel événement n’est toujours pas très probable.
Dans la catégorie jaune, on parle des objets dont l’itinéraire devrait
sérieusement être surveillé par les experts. Ceux du troisième groupe
ont un pour cent ou plus de chances de causer des dégâts sur le plan
local. Le quatrième groupe signale le même risque, mais sur un
territoire plus large, tandis que les corps de la cinquième classe ont
déjà beaucoup plus de chances de provoquer des dégâts relativement
graves sur un niveau régional. Toutefois, depuis plusieurs décennies,
pas un seul objet destiné à la catégorie jaune ne put être observé.
Avec le code orange, on entre dans le champ des “événements
inquiétants”, susceptibles d’arriver une fois tous les 50 à 1000 ans.
Ici, il est question d’objets qui disposent d’assez de masse pour
traverser l’
atmosphère terrestre et causer une catastrophe à un niveau
régional ou même global. Mais jusqu’à présent, un tel désastre ne
frappa qu’une fois tous les cent ans ou moins. La catégorie inclue
trois classes - six à huit - dont la première prévoit une rencontre
assez proche entre la
Terre et un astéroïde, avec un risque important
de collision qui pourrait provoquer une catastrophe globale. Au
septième niveau, ce risque est déjà extrêmement élevé, et la huitième
classe contient les corps où une collision est inévitable et le risque
de destructions locales pratiquement à cent pour cent.
La catégorie rouge parle des catastrophes qui, selon les experts,
appartiennent plutôt au domaine de la science fiction. Un événement du
neuvième groupe, une collision qui causerait de graves dégâts au niveau
régional, n’aurait lieu qu’une fois dans 1000 à 100.000 ans, tandis
qu’une collision de dixième classe qui entraînerait une catastrophe
climatique globale arriverait moins d’une fois tous les 100.000 ans.
Pour les scientifiques, il est très peu probable que les degrés élevés
auraient souvent la chance d’entrer en jeu. Selon “l’inventeur” de
l’échelle lui-même, aucun objet détecté jusqu’à ce jour ne pourrait
être classé que dans la catégorie zéro.