Nulle autre trajectoire
céleste n’a fait suer les astronomes tant que celle de la
Lune et, en
même
temps, ne leur a lancé un tel défi. A première vue, toutefois,
elle rappelle une orbite elliptique tout à fait ordinaire, conforme aux
fameuses lois de Kepler, sur laquelle notre satellite tourne autour de
la
Terre en 27,32 jours ou, plus exactement, 27 jours, 7 heures, 43
minutes et 11,5 secondes, à une vitesse moyenne de 1,023 kilomètres par
seconde. Ce mouvement, nommé révolution sidérale, ne semble pas
difficile à calculer. Au périgée, la distance entre
Lune et
Terre est
de 356.375 kilomètres, à l’apogée, le satellite s’éloigne jusqu’à
406.720 kilomètres. L’évaluation de la durée du trajet se base sur le
temps qui s’écoule entre deux passages de la
Lune près d’une même
étoile. Et pour nous rendre la vie encore plus facile, la période de
rotation sidérale correspond exactement à cet intervalle. Pendant que
la
Lune fait alors un tour autour de sa
planète, elle pivote aussi une
fois autour de son propre axe. Cette coordination parfaite entre
rotation et révolution aurait pour désavantage que la
Lune nous
montrerait toujours la même face, s’il n’y avait pas les effets de la
libration grâce auxquels, à partir des différentes positions sur la
Terre, on peut apercevoir au total 59 pour cent de la surface lunaire.
Tout paraît donc clair, et la prévision des différentes positions de
notre satellite ne devrait être qu’un jeu d’enfant - si son orbite
n’était pas ce qu’appellent les astronomes “très perturbée”.
Déjà, la trajectoire n’est pas identique au tracé de l’
écliptique, mais
inclinée sur lui de 5,14° en moyenne - la
Lune se tient alors de
jusqu’à 5,9° en dessous ou en dessus de l’
écliptique, le croisant en
deux points, les noeuds ascendant et descendant. Mais, finalement, ce
petit écart n’est pas bien inquiétant. Au contraire, il explique,
pourquoi les éclipses solaires et lunaires n’ont pas lieu chacune une
fois par mois. Ce qui est pire : l’emplacement des noeuds ne reste pas
constant. Effectivement, à l’heure où la
Lune - après avoir laissé
derrière elle le noeud ascendant et, plus tard, le point descendant -
se rapproche de nouveau de l’
écliptique, elle le croise à un endroit
plus proche que lors de son dernier tour. De cette manière, les noeuds
rétrogradent de 1,5° au cours de chaque passage du satellite,
c’est-à-dire qu’ils se déplacent dans le sens contraire au mouvement
lunaire, un mouvement direct, ce qui a pour conséquence que la
Lune
n’arrive jamais à tracer une ellipse fermée. Pour que les noeuds
retrouvent une position antérieure, il faut attendre 18,6 ans. Tandis
que l’on aurait donc normalement le droit de supposer que, sur une
trajectoire elliptique, la période séparant deux passages consécutifs à
un point quelconque sur l’orbite égale celle de la révolution sidérale,
les déplacements constants des noeuds troublent le calcul. Ainsi, si
l’on compare la durée de la révolution sidérale avec l’espace de
temps
qui s’écoule entre deux passages de la
Lune au noeud ascendant, on
trouve une différence de 2 heures, 37 minutes et 35,7 secondes. La
trajectoire entre deux noeuds ascendants, la révolution draconitique,
ne dure en effet que 27,21 jours ou 27 jours, 5 heures, 5 minutes et
35,8 secondes.
Ce mouvement permanent des noeuds n'aggrave pas seulement les troubles
causés par la précession, il modifie logiquement aussi la direction
dans laquelle pointe l’ellipse de l’orbite. C’est que, avec les noeuds,
se déplace également la ligne des apsides, c’est-à-dire le grand axe de
l’orbite, et, par conséquent, le point où la
Lune trouve sa position la
plus éloignée de la
Terre, l’apogée. Comme les noeuds reculent,
l’apogée doit automatiquement avancer, dans le même sens que le
satellite. La vitesse de ce mouvement correspond à un chemin de 0,114°
par jour. De cette manière, lorsque le bout du grand axe le plus
éloigné de notre
planète vise le
Soleil, la
Lune, au cours de son
voyage autour de la
Terre, s’approche plus de notre
étoile qu’au moment
où l’apogée fixe un autre point dans l’espace.
Cependant, en même
temps que la
Lune tourne autour de la
Terre,
celle-ci gravite autour du
Soleil. Pendant que le satellite décrit une
révolution sidérale, la
planète parcourt environ 27° de son orbite. Au
moment où la
Lune entame donc une nouvelle période de voyage autour de
la
planète, où elle se tient alors à la même position par rapport aux
astres qu’au début de son trajet précédent, l’orientation
terrestre
vers le
Soleil s’est modifiée et, avec elle, celle de la
Lune. Ainsi,
l’angle sous lequel la surface lunaire est éclairée ne correspond plus
à celui d’il y a 27,32 jours. Pour retrouver le même angle par rapport
au
Soleil, c’est-à-dire la même phase lunaire, le satellite doit encore
continuer son chemin pendant un peu plus de deux jours. L’intervalle
entre deux phases lunaires identiques (par exemple deux nouvelles
Lunes) ou, autrement dit, entre deux moments où la
lumière solaire
éclaircit la même partie de la surface lunaire - où le satellite, pour
un observateur
terrestre, a donc le même aspect -, s’appelle période de
révolution synodique ou lunaison, et égale à 29,53 jours ou 29 jours,
12 heures, 44 minutes et 2,9 secondes.
Le même phénomène touche les relations entre notre satellite et un
point fixé sur
Terre, par exemple le point vernal. Tandis que la
planète tourne autour du
Soleil et, chemin faisant, change sans cesse
de position par rapport à lui, elle modifie en même
temps sa position
par rapport aux autres
étoiles. Lorsque la
Lune termine alors un de ses
voyages autour de la
Terre et retrouve la même position par rapport aux
astres qu'à la fin de sa révolution sidérale précédente, son
orientation face à sa
planète a légèrement évolué : la route qu’elle
doit parcourir entre deux positions identiques par rapport au point
vernal, la révolution tropique, est de 6,8 secondes plus courte qu’une
révolution sidérale ; elle compte donc 27 jours, 7 heures, 43 minutes
et 4,7 secondes au total.
Mais les différentes périodes de révolution ne sont pas les seules
expressions de la perturbation de l’orbite lunaire. Un autre
bouleversement est dû à la rotation
terrestre. Sous l’influence de
l’effet de marée, celle-ci ralentit au fil du
temps, ce qui a pour
conséquence que la marche lunaire semble s’accélérer. Suite à ce
changement de vitesses relatives, notre satellite s’éloigne doucement
de sa
planète, d’à peu près deux mètres par siècle.
Selon Kepler, une orbite elliptique garde toujours une même forme bien
définissable. Dans le cas de la
Lune, par contre, l’ellipse est
constamment modifiée. Les clefs de ce phénomène nous sont livrées par
la loi de la gravitation universelle formulée par Isaac Newton. Selon
lui, la force de marée qu’exerce un corps sur l’autre dépend d’un côté
des masses des objets en question, de la distance entre eux de l’autre.
Or, la
Lune n’est seulement livrée à la force d’attraction de la
Terre,
mais aussi à celle du
Soleil. Tant qu’elle se tient relativement loin
de notre astre du jour, la force de marée
terrestre, bien que la masse
solaire vaut 32.270 fois celle de la
planète, exerce une influence
assez importante sur le satellite. Mais à mesure qu’il s’approche de
l’
étoile, la masse du
Soleil se fait de plus en plus sentir, et la
Lune
se dégage un peu de l’empire
terrestre. Ainsi, l’influence du
Soleil
est plus forte à la nouvelle
Lune, où le satellite se tient entre
Terre
et
étoile, qu’à la pleine
Lune, phase pendant laquelle il se “cache”
derrière la
planète. Or, chaque fois que la
Lune change de régime, son
orbite se modifie, prenant un aspect plus ou moins rond ou ovale. De
cette manière, l’excentricité de l’ellipse peut varier entre 0,0432 -
ce qui la rapproche du cercle dont l’excentricité est 0 - et 0,0666.
L’espace de
temps qui s’écoule entre deux valeurs identiques est de 412
jours. L’excentricité la plus élevée, c’est-à-dire l’ellipse la plus
aplatie - est atteinte lorsque la
Lune arrive à l’apogée et, en même
temps, le grand axe de l’orbite pointe vers le
Soleil. - Pour que
l’apogée retrouve une position antérieure par rapport aux astres, il
faut d’ailleurs attendre 8 ans et 310 jours. - Ce changement de forme
perturbe la
Lune au point que le phénomène de l’évection est engendré :
le satellite freine ou accélère son allure de 2 heures et 20 minutes au
cours de 31,81 jours de voyage. Plus il est proche de la
Terre, plus
vite il court. Tycho Brahe, le grand observateur du 16ème siècle, a
découvert une singularité semblable, également due à l’influence des
deux forces de marée contradictoires, la variation : il s’est aperçu
qu’entre la nouvelle et la pleine Lune, le satellite se meut plus ou
moins lentement, jusqu’à arriver à une différence de 72 minutes.