L'espace et la matière
La
Relativité restreinte rend équivalents tous les référentiels en
translation uniforme les uns par rapport aux autres (référentiels
inertiels), mais il semble que l'on puisse encore, par des expériences
de physique, savoir si le référentiel où l'on se trouve est ou non
soumis à une accélération absolue. Dans une gare, qui ne s'est pas
demandé un instant si c'était son train ou celui de l'autre voie qui
s'était doucement mis en mouvement; ceci illustre le fait qu'une
expérience de physique ne peut pas mettre en évidence un mouvement
rectiligne et uniforme absolu. Mais si le train freine, ou s'il
s'inscrit dans une courbe, alors on ressent des sensations
d'accélération qui permettent d'être certain que l'on est bien dans LE
train qui roule. Certain ? Même pas : dix ans après la
Relativité restreinte, Einstein étend en effet le principe d'équivalence aux
référentiels quelconques, et montre que gravitation et accélération
sont en fait indiscernables. C'est à dire qu'aucune expérience de
physique ne permet de savoir si le référentiel où travaille le
chercheur est immobile dans le champ de gravité d'une masse, ou s'il
est soumis à une accélération, loin de toute masse. Sans autre
information, impossible de savoir si notre train vient de heurter un
butoir ou si une énorme masse vient de se matérialiser un instant
derrière lui et, par son attraction, a stoppé net son mouvement. La
Relativité Générale brise ainsi l'indifférence de l'espace de Newton à
son contenu matériel : la présence des masses modifie le comportement
des corps et des ondes électromagnétiques. En fait, la gravitation au
sens de Newton est remplacée par une propriété géométrique de l'espace.
Cet espace n'est plus l'espace R
3 de Newton,
mais un espace a quatre dimensions, dont le
temps; c'est pourquoi on
parle de continuum espace-
temps.
Einstein dans l'ascenseur
Einstein imagine un laboratoire totalement clos, mais parfaitement
équipé pour toutes sortes d'expériences de physique.
Dans une première phase, le laboratoire est en chute libre dans
l'
atmosphère de la Terre (on néglige la résistance de l'air). A
l'intérieur, les savants voient que les objets qu'ils lâchent restent
là où ils sont, ne tombent pas. Eux-mêmes ne pèsent rien, et flottent
librement dans le laboratoire. Ils peuvent se lancer un ballon, qui ira
en droite ligne de main en main. Pourtant, pour l'observateur
extérieur, ils sont bien dans le champ de gravité de la
Terre, mais il
a suffi de choisir un système de coordonnées accéléré (lié au
laboratoire) pour éliminer les effets de la gravitation.
Dans une seconde phase, le laboratoire est quelque part sur
Terre,
immobile par rapport à notre
planète. Les savants à l'intérieur
laissent tomber des corps matériel, s'aperçoivent qu'ils arrivent en
même
temps sur le sol. S'ils se lancent une balle, elle a tendance à
suivre une trajectoire parabolique, et ils doivent la lancer vers le
haut s'ils veulent qu'elle finisse dans les mains du collègue.
Dans une troisième phase, le laboratoire est dans l'espace, loin de
toute masse, aucune force ne s'exerce sur lui. Toutes les expériences
donnent le même résultat que dans le premier cas, celui de la chute
libre dans un champ de gravitation.
Dans une quatrième phase, toujours loin de toute masse, une corde est
attachée au toit, et tire avec une force constante sur le laboratoire,
qui est ainsi accéléré dans ce sens. A l'intérieur, les savants
constatent que le plancher exerce une pression sous leurs semelles, que
s'ils lâchent des objets ceux-ci vont se coller sur le plancher (qui
"monte" à leur rencontre, en fait) et que pour jouer à la balle, il
faut lancer celle-ci vers le toit. La situation est donc indiscernable
de celle du cas 2.
Ainsi, la gravitation, une des forces fondamentales de la nature,
peut-elle être annulée ou créée à volonté en jouant sur les
accélérations ! C'est la marque d'une profonde équivalence entre ces
deux concepts, et c'est le fondement de la Relativité Générale.
Trajectoire des rayons lumineux
Dans notre ascenseur en chute libre dans le champ de gravité de la
Terre, un des savants envoie un rayon lumineux d'un mur à l'autre. La
lumière part donc perpendiculairement aux murs, se dirige vers le
second, et le frappe. Mais pendant que la
lumière voyageait, le
laboratoire accélérait vers le centre de la
Terre, et la
lumière va
frapper le second mur un peu plus "haut" que si le laboratoire était au
repos (cela n'aurait pas été le cas si l'ascenseur se déplaçait selon
un mouvement rectiligne uniforme, comme nous l'a appris la
Relativité restreinte). Mais alors, les savants ont découvert un moyen de savoir
quel est l'état de mouvement du laboratoire! Cela, Einstein n'en veut
pas : aucune expérience ne doit permettre de distinguer le mouvement
accéléré de l'immobilité dans un champ gravitationnel. Et pour cela,
suivant les idées de Poincaré, il va abandonner l'espace de Newton,
l'espace R
3 où la
lumière suit des trajectoires
rectilignes, pour le remplacer par une construction complexe à quatre
dimensions, dont le
temps, qu'on désigne sous le nom de continuum
espace-
temps. Les ondes électromagnétiques ne s'y déplacent pas
nécessairement en ligne droite, mais le long de lignes de l'espace qui
représentent un trajet minimum, les géodésiques. Si l'espace est
courbé, alors ce sont des courbes. Et la conclusion suivante, c'est que
la présence des masses courbe l'espace, et que l'on n'a plus besoin de
la notion de force d'attraction...
Géometrisation de la gravitation
Jusqu'ici, nous avons toujours parlé de la gravitation en termes de
force. En fait, la physique moderne, avec la théorie de la Relativité
Générale, a fait disparaître cette notion. Nous allons prendre une
image bidimensionnelle qui nous permettra d'expliquer ce qui se passe
dans notre univers à trois dimensions spatiales...
Imaginons l'univers comme une feuille de caoutchouc tendue, de
dimensions infinies, où glissent des vers plats, seuls habitants des
lieux. Si on pose une boule de billard sur la feuille, elle va creuser
une dépression, et donc déformer l'espace des vers plats autour d'elle.
Si maintenant on fait rouler une bille sur la feuille de caoutchouc, en
passant sur le bord de la dépression, elle va être déviée, et avoir
tendance à tourner autour de la boule de billard; nos vers plats
ingénus, voyant cela, vont inventer une théorie de la gravitation, et
dire qu'une force s'exerce entre la boule de billard et la bille, qui
contraint cette dernière à tourner autour de la première.
Rappelons-nous que les vers plats sont incapables d'imaginer la
courbure de leur espace. Nous qui sommes dans une dimension supérieure,
nous voyons bien que la description des vers plats est naïve, et que la
"force" de gravité n'existe pas réellement : c'est simplement l'espace
qui est courbé par la masse de la boule, et la bille qui roule
librement dans cet espace courbé. Plus tard, on peut imaginer que les
vers plats découvrent la courbure de leur espace, et qu'un de leurs
génies bâtisse une théorie géométrique de la gravitation, comme la
théorie de la Relativité Générale.
Un cas extrême est celui du trou noir. Il se produit si on pèse sur le
tissu de l'espace, non pas avec une boule de billard, mais avec un
objet plus massif et plus petit. Si on exagère trop dans ce sens, par
exemple en appuyant très fort avec une aiguille, on crée un puits
gravitationnel d'une profondeur telle, aux parois si escarpées, que
tout ce qui passe trop près y tombe inexorablement, et dont plus rien
ne peut ressortir; nous reviendrons sur cela plus loin.
Les évènements dans l'espace temps
Donner rendez-vous à quelqu'un, c'est lui dire OU (3 coordonnées) et
QUAND (une valeur du
temps) on souhaite le rencontrer. Donc pour
définir complètement un événement, il faut donner quatre coordonnées,
c'est à dire le placer dans le continuum espace-
temps, même dans la vie
de tous les jours. La difficulté vient de ce que nous sommes incapables
de nous représenter des structures à quatre dimensions. Jusqu'à trois
dimensions, au moyen de projections, on s'en sort; ensuite, le problème
est insoluble : notre esprit n'est pas armé pour cela. Tous les
raisonnements graphiques que l'on fait sont donc appuyés sur un
continuum espace-
temps très simple, à deux dimensions, facile à
représenter sur une feuille de papier. On peut aussi dire qu'il s'agit
d'une projection à deux dimensions (sur le plan (x,t)) d'un continuum
quadridimensionnel (x,y,z,t). Voici par exemple le diagramme
d'espace-
temps d'un événement O; le continuum (ou sa projection) est
divisé en quatre régions, dont deux (marquées "passé" et "futur", mais
notons bien que ces qualificatifs sont relatifs au point O et à lui
seul) correspondent aux points avec lesquels la communication est
possible; tout le reste ne fait pas partie de l'univers "visible". Les
signaux échangés le sont à des vitesses inférieures ou égales à c, et
la
lumière elle-même suit des trajectoires parallèles aux bords
obliques de ces régions. Toute trajectoire d'objet matériel est
représentée par une courbe dont la tangente garde une pente supérieure
à celle des bords des deux régions citées.
Les tests observationnels de la relativité générale
La Relativité Générale, comme toute bonne théorie, doit au moins
conserver les acquis de la théorie qu'elle prétend remplacer. Elle doit
donc donner, dans des conditions "non relativistes", d'aussi bons
résultats que la théorie de Newton; celle-ci ne peut en effet guère
être mise en doute vu ses immenses succès dans les domaines de la
mécanique céleste (Système Solaire, astronautique, ...). C'est bien ce
que l'on vérifie, la gravitation façon Relativité Générale prédit très
bien les mouvements des corps pesants, et même un peu mieux que Newton.
Mais les différences ne deviennent spectaculaires que quand les
vitesses s'approchent de c, ou quand les champs de gravitation
deviennent énormes. Vérifier la Relativité Générale dans les conditions
usuelles de nos laboratoires est donc une tâche délicate, tant les
effets attendus sont infimes. Cela a pourtant été fait...
Déflection de la lumière au voisinage des masses
Einstein calcule que la
lumière passant juste à raser la surface du
Soleil devrait être déviée de 1,75 secondes par la courbure de l'espace
en ce point. Le 29 mai 1919, on
photographie les étoiles autour du
Soleil éclipsé, et les prévisions s'avèrent exactes à 10% près. Depuis,
on a fait mieux avec des radio-télescopes, et obtenu un accord à 1%.
L'avance du périhélie de Mercure
La masse apparente (dans un référentiel lié au
Soleil) de
Mercure
dépend de sa vitesse instantanée. Or
Mercure a une orbite assez
excentrique, et donc des variations de vitesse assez conséquentes. Son
équilibre sur son orbite est ainsi perturbé de façon sensible, et cela
se traduit par une lente rotation du grand axe autour du
Soleil. Ceci
est inexplicable en théorie Newtonienne, alors que la Relativité
Générale prédit 43 secondes par siècle (notons que cette rotation est
noyée dans une rotation beaucoup plus importante, de 550 secondes par
siècle environ, prédite correctement par la théorie newtonienne, et due
aux perturbations des autres
planètes). Les observations ont bien mis
en évidence un résidu de 43 secondes par siècle.
Le décalage gravitationnel vers le rouge
On reprend l'ascenseur d'Einstein, supposé dans ce cas en chute libre
dans un champ gravitationnel. On envoie un signal lumineux du plancher
vers le plafond. L'ascenseur est en accélération constante vers le bas,
et, quand la
lumière frappe le plafond, celui-ci se déplace vers le bas
plus vite que la source à l'instant de l'émission. La
lumière doit donc
être détectée avec un décalage Doppler vers le bleu. Mais alors, les
savants du laboratoire peuvent détecter cet effet, et donc savoir
qu'ils sont accélérés, et non loin de toute masse et soumis à aucune
force. Ceci viole le principe d'équivalence, et il doit donc exister un
décalage Doppler vers le rouge produit par le déplacement de la
lumière
"contre" le champ de gravité, qui compense exactement le décalage vers
le bleu du déplacement.
Le retard des signaux électromagnétiques
La
lumière, dans l'espace-
temps, suit des lignes de moindre longueur
appelées géodésiques. Quand les ondes radio émises par une sonde
spatiale parviennent à la
Terre après avoir frôlé le
Soleil, elles ont
du traverser une région où l'espace était courbé, et où les
géodésiques, s'écartant notablement de lignes droites, étaient plus
longues à parcourir. Il y a donc un petit retard dans les signaux; ceci
a été vérifié lors des missions Wiking, et a été trouvé conforme aux
prévisions relativistes à 1/1000e près.