Simultanéité relative
Dire qu'il existe un
temps absolu, c'est dire qu'il est possible de
synchroniser deux horloges de telle façon que ce synchronisme se
conserve indéfiniment, quel que soit le référentiel dans lequel on
observe l'une ou l'autre de ces horloges. En examinant précisément
comment l'on synchronise deux horloges, Einstein se livre à une
critique de la notion de simultanéité, et montre que celle-ci est
relative : deux événements simultanés pour un observateur ne le sont
pas nécessairement pour un autre. Pour illustrer son raisonnement, il
imagine l'expérience suivante : les deux célèbres physiciens Melchior
et Balthazar sont, l'un sur le toit du TGV roulant à grande vitesse
dans la campagne lyonnaise, juste au milieu de la rame (Melchior, qui à
part cela est quelqu'un de charmant, aime beaucoup flâner sur le toit
du TGV; surprenant sans doute, mais on ne se refait pas à son âge...),
l'autre sur le ballast, observant le passage de l'engin. Au moment où
Melchior passe juste en face de Balthazar, deux éclairs frappent la
voie ferrée, en tête et en queue du train. Balthazar, placé à égale
distance des deux éclairs, reçoit la
lumière de ces deux événements au
même instant; il a en effet fallu le même
temps à la
lumière pour aller
de la tête ou de la queue du train jusqu'à son milieu. Il dit donc :
"ces deux événements sont simultanés". Melchior, placé lui aussi au
milieu du train, mais en mouvement avec celui-ci, reçoit d'abord la
lumière de l'éclair A de tête de train, car il va à la rencontre de
cette
lumière; un peu plus tard, il reçoit la
lumière de l'éclair B,
lumière qui devait non seulement parcourir la moitié de la longueur du
train, mais en plus rattraper Melchior qui se déplace dans le même
sens. Ce dernier peut donc dire : "l'éclair A a frappé la voie ferrée
avant que l'éclair B ne le fasse"! Il n'y a aucune raison physique de
choisir entre ces deux opinions, et on doit donc admettre que la notion
de simultanéité n'est pas universelle, mais relative; or toutes nos
méthodes de
mesure du temps utilisent cette notion, et on est amené à
la conclusion que le
temps, lui-même, n'est pas absolu...
Ralentissement du temps pour des observateurs en mouvement
Imaginons deux observateurs, A et B, disposant tous les deux du même
modèle d'horloge : un système de deux miroirs parallèles entre lesquels
un faisceau de
lumière fait des allers-et-retours. Toutes les fois que
la
lumière frappe un des miroirs, cela fait tic ou tac... Imaginons
pour simplifier que l'observateur B soit relativement à A en mouvement
rectiligne et uniforme parallèlement au plan des miroirs, disons vers
la droite.
Vu de l'observateur A, la
lumière entre un tic et un tac doit parcourir
l'hypothénuse d'un triangle rectangle, car le second miroir s'est
déplacé entre l'instant où la
lumière est partie du premier et
l'instant où elle arrive sur le second. Le
temps de trajet est donc
plus long, et A voit l'horloge de B battre trop lentement, avec des
secondes trop longues. Mais B, qui n'a aucun moyen de détecter son
mouvement rectiligne et uniforme, peut rester persuadé qu'il est au
repos avec son horloge, que la
lumière se déplace bien
perpendiculairement aux miroirs, et que sa seconde est la bonne. Par
contre, quand il observe A, il remarque que son horloge bat trop
lentement, car pendant le trajet du premier au second miroir, celui-ci
s'est déplacé vers la gauche en raison du déplacement de A. Qui a
raison, qui a tort ? La relativité dit que tout le monde a raison... Il
n'y a pas d'observateur privilégié, absolu, et le
temps est relatif.
Cette dilatation du
temps n'est pas un artefact de calcul, comme on
pourrait le penser, et l'observation de la nature nous en apporte un
exemple spectaculaire. Le bombardement de la haute
atmosphère par les
rayons cosmiques (qui sont constitués de tout un ensemble de
particules, avec beaucoup de noyaux atomiques, circulant à des vitesses
souvent proches de celle de la
lumière) produit en abondance des
particules secondaires , et en particulier des muons. Les muons
ressemblent aux électrons, mais sont 200 fois plus massifs; ils se
désintègrent spontanément en électrons et radiations au bout de 1,5 10
-6
seconde. Ils sont produits à des altitudes de 10 à 20 km, et se
déplacent à des vitesses voisines de c, et on les observe au sol. Or,
même si l'on admet que leur vitesse est égale à c, la distance qu'il
ont le
temps de parcourir avant de disparaître est de 300000×1,5 10
-6
= 0,45 km. On ne devrait jamais les voir au sol... Ils n'y parviennent
que parce que leur
temps propre, celui dans lequel ils attendent de se
désintégrer, est dilaté d'un facteur au moins égal à 20 par
rapport au notre.
La relativité restreinte illustrée par le paradoxe des jumeaux
On parle souvent du "paradoxe des jumeaux", dont l'un, astronaute, part
pour un long voyage à une vitesse proche de celle de la
lumière. A sont
retour, il a moins vieilli que son frère, comme prévu. Mais on se
demande parfois pourquoi chacun d'eux ne trouve pas son frère moins
vieilli, en raison de la relativité des mouvements. Quand on fait le
raisonnement complet, on voit qu'il n'y a pas de paradoxe, que le
voyageur est en effet plus jeune que son frère, mais qu'il n'y a pas de
raison pour que la situation soit symétrique. Le référentiel du
voyageur n'est pas un référentiel inertiel : il doit décoller, faire
demi-tour, freiner, et subit là des accélérations. Les raisonnements de
relativité utilisés pour les référentiels inertiels ne sont pas
applicables ici.
Relativé restreinte et contraction des longueurs
Reprenons notre triangle isocèle d'observateurs A, B et C, en
déplacement rectiligne et uniforme comme précédemment défini. Nous
avons déjà noté qu'ils n'ont aucun moyen de détecter leur mouvement.
Dans leur système, ils se considèrent comme équidistants, et les
réponses de B et C parviennent à A au même instant. Et la vitesse de la
lumière est, bien entendu, c pour tout le monde. Pour nous,
observateurs extérieurs, en déplacement relatif, nous voyons la
lumière
des signaux de A qui se déplace à la vitesse c vers B qui la fuit, puis
qui revient vers A qui vient à sa rencontre. Celle qui fait le trajet
A-C-A se déplace sur un parcours triangulaire. Nous pouvons refaire les
calculs précédents, et trouver que la réponse de C doit arriver à A
avant celle de B. Or A nous signale qu'il reçoit simultanément les deux
réponses. La vitesse de la
lumière étant constante, nous en concluons
donc que B est plus proche de A que ne l'est C. A nos yeux, les
longueurs sont contractées dans le sens du déplacement relatif.
Relativité restreinte et accroissement des masses
Qu'en est-il de la masse d'un objet, mesurée par un observateur en
mouvement relatif ? On peut en avoir une idée avec l'expérience de
pensée suivante : deux vaisseaux spatiaux A et B au repos l'un par
rapport à l'autre tirent l'un vers l'autre deux boules parfaitement
élastiques, identiques, à la même vitesse. Ces deux boules se
rencontrent à mi-chemin, et rebondissent l'un contre l'autre (figure
a). Avant comme après le choc, leurs moments sont opposés, et la
conservation du moment est assurée dans la collision. Si cette fois les
deux vaisseaux sont en mouvement relatif rectiligne et uniforme, et
sont observés par un troisième C tel que la vitesse de A par rapport à
C soit v et la vitesse de B par rapport à C soit -v, ce dernier observe
le phénomène décrit par la figure b. Là encore, la symétrie est
parfaite, et la conservation du moment total ne pose pas de problème.
Mais si cette fois on se place dans le repère de B, les choses sont
bien différentes. B voit l'horloge de A ralentie, et la vitesse du
projectile de A est ralentie dans la même proportion . La quantité de
mouvement du projectile de A serait donc réduite de la même façon, et
pour que soit conservé le moment total, il faut que la masse du
projectile de A apparaisse à B comme augmentée d'un facteur . Elle
passe de m, appelée masse au repos, à .
Cette variation de masse est un fait d'observation courante, elle est
omniprésente dans le fonctionnement des accélérateurs de particules.
Equivalence masse énergie
L'énergie au repos d'un corps de masse "m" est est E = m.c
2
Les conversion masse-énergie sont couramment observées en physique
sub-atomique. La rencontre d'un électron et d'un positron, par exemple,
se traduit par l'annihilation de cette paire, et la création de photons
dont l'énergie totale est égale à la masse de la paire multipliée par
le carré de c. Dans certaines conditions, inversement, un photon de
très haute énergie peut se matérialiser en une paire e-/e+.
Comme c
2 est très grand, la conversion de
matière en énergie peut être extrêmement productive. Dans les
installations industrielles nucléaires, ou dans les bombes nucléaires
et thermonucléaires qui utilisent ce phénomène, le rendement est très
faible (une très faible fraction du combustible est dématérialisée), ce
qui n'empêche pas la production d'énergie d'être énorme. On espère dans
le siècle qui commence réussir à domestiquer la fusion de l'hydrogène,
cette même réaction qui alimente le Soleil depuis 4,55 milliards
d'années. Avec le rendement de 7/1000e que l'on envisage, le traitement
de quinze tonnes d'hydrogène par an suffirait à couvrir la consommation
d'énergie de la France. Cela fait rêver, et explique que toutes les
grandes nations soient engagées dans une compétition technologique
effrénée...
La barrière de la vitesse lumière
Si l'on accélère un corps matériel, plus la vitesse s'approche de c,
plus la masse augmente, et donc plus il faut d'énergie pour produire un
nouvel accroissement de la vitesse. Formellement, il faudrait une
énergie infinie pour accélérer ne fut-ce qu'un simple électron jusqu'à
la vitesse de la
lumière... La vitesse c est donc une barrière absolue,
dont on peut se rapprocher, mais qui restera inaccessible. Ceci dit,
quand v tend vers c un vaisseau spatial peut quand même
atteindre n'importe quel point de l'univers (en négligeant pour
l'instant les effets cosmologiques que nous verrons plus tard) en un
temps aussi court que souhaité, tel que ressenti par les passagers du
vaisseau; ceci en raison de la contraction des longueurs dans le sens
du déplacement, ou du ralentissement du
temps, ce qui est la même
chose...
Les seuls objets qui se déplacent à la vitesse de la
lumière ont une
masse au repos nulle, c'est le cas du photon.